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Et si vos cheveux empêchaient de vous soigner ?
Et si vos cheveux empêchaient de vous soigner ?

La Presse

time5 days ago

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Et si vos cheveux empêchaient de vous soigner ?

Certains lissages de cheveux peuvent comporter des risques pour la santé, pourtant l'information à ce sujet circule très peu, signale l'auteure. « Des cheveux aux soins de santé, il n'y a qu'un pas – ou plutôt un fil conducteur : la norme blanche », écrit-elle. Et si vos cheveux empêchaient de vous soigner ? S'il existe une certaine pression culturelle favorisant les cheveux lisses, il y a assurément des disparités dans le domaine médical où la « norme blanche » laisse bien des angles morts, observe Agathe Tupula Kabola. Agathe Tupula Kabola Orthophoniste, chroniqueuse, conférencière et auteure ; chargée de cours et chargée de clinique à l'Université de Montréal Il y a trois ans, j'ai fait un big chop – l'expression utilisée pour désigner le moment où l'on rase ses cheveux traités chimiquement pour repartir à zéro avec sa texture naturelle. Ce fut à la fois libérateur… et confrontant. Du plus loin que je me souvienne, j'ai été complexée par mes cheveux. Il y avait la douleur du démêlage brutal de ma tignasse avec un peigne en bois aux dents fines et pointues. Et tous ces dimanches soirs qui me semblaient interminables, consacrés à laver et coiffer mes cheveux pour la semaine. Alors non, je ne juge pas les femmes noires qui se défrisent les cheveux. Ce serait franchement hypocrite de ma part, puisque j'ai moi-même fait appel au défrisant pendant la majeure partie de ma vie, dès l'âge de 8 ans. Aujourd'hui, je garde mes cheveux naturels… sauf quand je les tresse avec des extensions ou des greffes. Comme quoi, même mon big chop n'a pas été un grand saut dans l'inconnu, mais plutôt un saut à demi amorti. Il faut dire que le modèle de la femme noire au naturel, dans les sphères du pouvoir ou de la culture populaire, reste rare. Oprah, Michelle Obama, Beyoncé : toutes ont fait carrière en arborant une chevelure lisse. Ce n'est pas une critique, juste un constat. Peut-être est-ce pour cela que garder mes cheveux naturels me semble parfois être un acte de résistance… fatigant. Mais cette pression esthétique n'est pas qu'une question d'image. Elle peut avoir des effets bien concrets sur la santé. Le 18 octobre 2024, le journal Le Monde rapportait une alerte du ministère français de la Santé sur les lissages brésiliens à base de kératine1. L'acide glyoxylique, un des ingrédients actifs, aurait entraîné des cas d'insuffisance rénale aiguë. Pourtant, ces produits sont toujours vendus en ligne ou utilisés dans des salons. Ici, au Québec, l'information a à peine fait surface. Quelques mots à la radio2, puis silence radio. La norme blanche Le silence, justement, est aussi assourdissant quand on s'intéresse aux biais raciaux dans le domaine médical. Des cheveux aux soins de santé, il n'y a qu'un pas – ou plutôt un fil conducteur : la norme blanche. Prenons les casques d'électroencéphalographie (EEG), utilisés pour diagnostiquer des troubles neurologiques. Ces dispositifs ont été conçus pour des cheveux lisses. Résultat : les personnes aux cheveux frisés doivent parfois se raser une partie de la tête pour qu'on puisse procéder à un examen. Imagine-t-on demander cela à une femme blanche dans un contexte d'urgence3 ? C'est à ce genre de question qu'a voulu répondre Arnelle Etienne, étudiante en génie d'origine haïtienne, en inventant Sevo : un appareil EEG pensé pour les cheveux frisés. Le résultat ? Un signal 18 fois plus clair qu'avec l'équipement traditionnel. Une innovation nécessaire, née d'un angle mort du système. Ces angles morts sont nombreux. Les oxymètres de pouls, largement utilisés durant la pandémie de COVID-19, donnent des lectures moins fiables chez les personnes à la peau foncée. Résultat : des patients noirs ou hispaniques ont reçu un traitement inapproprié ou trop tardif. Même problème pour les manuels de médecine, où les images de peaux foncées sont rares. Résultat ? Une maladie comme la maladie de Lyme, qui apparaît en cercle rouge sur une peau pâle, passe sous le radar quand elle prend des teintes violacées sur une peau noire. Même les bébés ne sont pas épargnés. Le score d'Apgar, utilisé à la naissance pour évaluer les signes vitaux, repose sur des critères… de couleur. Un teint rose est bon signe, un teint bleuté alerte. Mais sur une peau foncée ? On improvise. Les disparités vont plus loin. Au Canada, on manque de données sur les communautés noires pour 15 des 20 cancers les plus fréquents4. On sait pourtant qu'aux États-Unis, les femmes noires sont plus à risque de formes agressives de cancer du sein ou du col de l'utérus. Mais ici, sans données, pas de lignes directrices adaptées. L'humilité culturelle En tant qu'orthophoniste, je constate aussi ces biais dans mon domaine. Les repères de développement du langage sont basés sur des études menées principalement auprès de bébés caucasiens, issus de milieux favorisés. Quand on applique ces normes à tous les enfants, sans nuance culturelle, on risque de poser des diagnostics erronés, ou de passer à côté de véritables besoins. Par exemple, dans certaines cultures, éviter le contact visuel est un signe de respect. Ici, c'est parfois interprété comme un signe de trouble du développement. Le problème est systémique. On juge du développement, du risque, du danger, en se basant sur une norme occidentale, blanche, souvent masculine. Et cette norme devient la grille à travers laquelle on regarde tout le monde. Pourtant, la majorité des enfants dans le monde ne grandissent pas en Occident. Il est temps de remettre en question cette vision monoculturelle des soins de santé. Des pistes de solution existent. Intégrer dans les cursus universitaires des contenus sur le racisme médical et l'humilité culturelle, comme le fait l'Université de Calgary en sciences infirmières 5. Soutenir la recherche menée par et pour les communautés sous-représentées. Former les professionnels à reconnaître leurs angles morts. Fournir du temps et des ressources pour des soins culturellement sécurisants. En 2020, après la mort de George Floyd, on a promis des changements. On a dénoncé, on a débattu. Cinq ans plus tard, il faut aller au-delà des paroles. Car la discrimination ne se manifeste pas toujours par un genou sur un cou. Parfois, c'est un cheveu frisé qu'on ignore, un appareil mal calibré, un regard biaisé. Et tout cela peut, aussi, coûter des vies. 1. Lisez « Lissage brésilien : alerte sanitaire sur les risques liés à ce soin pour les cheveux » (abonnement requis) 2. Écoutez « Julien Poirier-Malo : Une vidéo diffusée par l'armée israélienne » (à 2 minutes 43 secondes) 3. Lisez « Quand diagnostics riment avec biais ethniques » 4. Lisez « Recherche sur le cancer : la communauté noire serait mal servie au Canada » 5. Lisez « Un cours à l'Université de Calgary combat le racisme médical » Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue

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